M. Noël Blache est un jeune avocat de Toulon. Il était enfant lorsqu'on tuait comme des chiens enragés les hommes libres du Var. En Décembre1851, il vit passer les républicains prisonniers que l'on conduisait au fort Lamalgue, pareils à un troupeau de voleurs et d'assassins. Son grand-père un ancien prisonnier du Thémistocle, sous la grande révolution, le tenait par la main. " Grand-Père, demanda-t-il au vieillard dont les regards étincelaient, qu'ont fait ces gens-là ?
- Ces gens-là, mon enfant, viennent de se battre pour la défense de la liberté et de la patrie. Quand tu seras devenu grand, souviens-toi de décembre 1851."
Le vieux républicain est mort quelques années après. L 'enfant devenu homme n'a pas oublié le coup d'État .
Et en effet, M. Noël Blache publie aujourd'hui une Histoire de l'insurrection du Var en décembre 1851. Il appartient à cette génération qui vient d'arriver à la politique. Il compte parmi ces quatre millions d'électeurs qui demandent à l'Empire de quel droit, après avoir ensanglanté leurs berceaux, il a préparé pour leur âge mûr la malheureuse époque que nous traversons. Ceux-là ne sont pas coupables des faiblesses de leurs pères, et ils entendent rappeler la liberté proscrite.
Ce qui donne à l'oeuvre du jeune avocat un caractère particulier, c'est qu'il est un enfant de ce malheureux coin de terre, où la répression fut si terrible. Ce n'est pas un historien qui compile dans son cabinet des notes prises aux journaux du temps; c'est un juge qui a instruit l'affaire sur le théâtre du crime, parcourant le pays à pied, interrogeant les victimes du drame. Ces hommes qu'on a traqués comme des bêtes fauves, il les connaît, il a entendu de leur bouche le récit de leurs misères. Certainement il en sait plus qu'il n'ose en dire. Il y a, dans sa relation, des réticences faciles à expliquer. Allez dans le Var, et vous entendrez raconter de sombres légendes qui demain peut-être deviendront des vérités. A chaque page, l'auteur vous dit " J'ai vu ce citoyen, j'ai touché ses blessures, je l'ai entendu parler de la liberté avec un enthousisme que dix-huit années de silence n'ont pas affaibli." Car ils ne sont pas tous morts, les fusillés et les déportés, et ceux qui restent ont des flammes dans les yeux quand ils parlent de ceux qui ne sont plus. Cette voix républicaine de la Provence, cette oeuvre d'un fils du Var, née sur les routes blanches où ont retenti les cris de " Vive la République ! Vive la Constitution ! " m'a profondément touché, moi qui n'étais aussi qu'un enfant en 1851, et qui me rappelle avec émotion une visite faite, à cette époque, dans la prison d'Aix, à un des bons amis de mon enfance.

 

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